Je suis enseignant-chercheur en management de la créativité et de l’innovation à Grenoble IAE qui fait partie du groupe d’école d’ingénieur et de management de Grenoble INP. Je m’intéresse aux processus, dispositifs et méthodes qui favorisent la créativité dans les organisations. En 2022, j’ai dirigé avec quatre autres collègues chercheurs et praticiens le livre, Le guide pratiques des communautés, publié aux Editions de l’innovation, qui propose de nombreuses connaissances, étude de cas et méthodes pour développer les communautés en organisation.
La créativité et l’innovation sont indispensables aux organisations pour se développer et répondre aux grands défis sociétaux et technologiques de notre époque. Les sciences de gestion identifient les processus et modes d’organisation de l’innovation. Elles placent la créativité comme étant un antécédent de l’innovation. Toutefois, face à l’accélération des transformations de la société et à la montée en complexité des problèmes à résoudre, les dispositifs classiques d’innovation peinent à répondre aux besoins des organisations. S’appuyer sur de grands centres de R&D, ouvrir son organisation aux universités et partenaires ou racheter des start-ups ne suffit plus pour innover de manière continue.
D’autres formes d’organisation de l’innovation ont émergé ces dernières années : communauté, hackathon, fab-lab, crowdsourcing, méthodes agiles etc. Toutes ces formes se basent sur l’intelligence collective d’un groupe aux compétences diverses afin de mieux identifier les problèmes. Aussi, d’engager fortement des collectifs sur la résolution de problèmes complexes. De plus, elles permettent de favoriser le hasard et la sérendipité pour sortir du cadre. Enfin, ces organisations développent par itération pour mieux répondre aux attentes des clients ou des collaborateurs. Créer et innover en communauté est un des dispositifs qui permet de mettre en place ces routines. Cela permet aussi d’assurer un flux continu d’innovation afin de répondre aux grands enjeux de notre société.
Comprendre les communautés dans les organisations
Définitions
A priori, on oppose facilement la communauté à l’organisation car ce sont deux formes d’organisation du travail très différentes. L’organisation réunit des personnes qui œuvrent pour un objectif commun avec des processus plus ou moins formels. De plus, elle a une organisation du travail avec une répartition assez précise des responsabilités et des tâches. Dans une organisation, il y a la notion de contrat dans le sens où l’employé loue sa force de travail contre rémunération avec un cadrage juridique.
Au contraire, une communauté est basée sur l’adhésion volontaire (non contractuelle) à objectif commun avec une organisation du travail assez souple. Cette organisation peut même être définie comme organique, souvent en auto-organisation et avec des interactions régulières. Du coup, on retrouve un peu l’essence communautaire dans des organisations qui laissent de l’autonomie au sein des équipes.
Le rôle des communautés dans les organisations
Au sein des organisations, les communautés, notamment les communautés de pratiques permettent de recréer de la transversalité entre les entités et les services. En outre, pour travailler sur des problématiques communes qu’il est difficile de traiter de manière isolée dans de petites équipes. La communauté aide alors à faire circuler les connaissances et les idées, créer de nouvelles connaissances et des solutions à des nouveaux problèmes, voire même de stocker des idées qui pourront être reprises plus tard dans un contexte plus favorable. Elle peut être aussi un espace dans lequel les participants vont développer de nouvelles compétences, de la confiance en soi, et être aussi un espace de respiration pour sortir d’un contexte assez difficile à vivre au quotidien.
Quelques exemples de communautés dynamiques
Premièrement, je peux citer l’exemple du grand studio d’Ubisoft à Montréal qui a favorisé l’émergence de communauté de métiers (game designer, graphistes 3D, développeurs etc.). Ces communautés sont une formidable source de créativité pour cette organisation qui, stratégiquement, doit développer des nouveaux jeux régulièrement. Elles sont hybrides avec des discussions dans des forums internes, mais aussi de nombreuses rencontres physiques (souvent en fin de journée à l’apéro). De plus, elles ont par exemple mis en place des sessions régulières d’improvisation pour jouer des situations de jeu. Ces sessions sont une source exceptionnelle d’idées à intégrer dans les jeux pour les rendre plus réalistes et créatifs.
Deuxièmement, je citerai l’exemple de Schneider Electric qui a mis en place un programme de communautés pour favoriser l’émergence et la gestion de communautés de pratiques. Il existe chez Schneider Electric plus de 300 communautés qui réunissent plus de 35 000 salariés sur de multiples thématiques (RH, production, ventes, système d’information etc.). Par exemple, la communauté CoM’on à réunit des collaborateurs d’une dizaine d’usines réparties à travers le monde pour standardiser les composants qui étaient utilisés dans la conception d’armoires électriques sur-mesure. L’engagement était volontaire dans le but de répondre à un problème clairement identifié. En deux ans, les membres de cette communauté transversale ont permis de trouver des solutions qui ont fait économiser plus de 7 millions d’euros à l’entreprise.
Les avantages de la création de communautés pour l’innovation
Comment les communautés favorisent la créativité et la diversité des idées ?
Dans les communautés, les interactions fréquentes amènent à partager des connaissances et discuter sur les problèmes rencontrés. Inévitablement, ces discussions aboutissent à la génération de nouvelles idées. De plus, on rencontre souvent dans les communautés ouvertes une grande diversité de profils et de pratiquants, cela favorise l’accès à des points de vue multiples. En définitive, cette diversité cognitive est porteuse de diversité d’idées.
Communautés et innovation : l’engagement des membres est-il un moteur ?
L’engagement ne suffit pas pour que la communauté soit motrice d’innovation. Il faut aussi que l’objectif de la communauté soit orienté vers un progrès, une amélioration, un changement. C’est cette orientation qui va pousser les participants à émettre des idées qui sont susceptibles de se transformer en innovation.
La transformation des idées en innovation au sein des communautés est portée en général par des individus au profil très particulier. Ils sont appelés des lead user (utilisateur pilote en anglais). Ces lead user détectent des besoins qui vont se généraliser avant les autres et ont une grande capacité d’idéation et de bricolage. En somme, cela leur permet de générer des concept de solution voire même de les réaliser concrètement. De plus, dans les organisations, pour que les bonnes idées se transforment en innovation, il faut prévoir des relations entre les communautés, des lieux et processus d’innovation formels.
Quelques exemples
J’ai en tête trois exemples. Le premier se situe dans le jeu vidéo avec Nadeo qui publie le jeu Trackmania et qui a beaucoup bénéficié d’innovations provenant de leurs communautés de joueurs. Les lead users de cette communauté ont créé des centaines de milliers de circuits de courses automobile, inventé de nouveaux styles de jeux, un logiciel et un site d’échange de circuits, des compétitions, des concours de vidéos. Deuxièmement, l’autre exemple se situe dans l’industrie du bâtiment chez Spie Batignolles dans laquelle les communautés internes sont à l’origine de nombreuses innovations. Par exemple, une offre de service avec une approche partenariale ou des méthodes pour développer en interne l’utilisation du BIM (Building Information Modeling).
Les défis et les meilleures pratiques pour la gestion des communautés
Quels sont les obstacles courants à la création et à la gestion de communautés innovantes ?
Je pense qu’il existe trois grands obstacles : le manque de temps, l’épuisement et l’absence de relais pour concrétiser l’innovation.
Les stratégies et bonnes pratiques pour surmonter ces obstacles
La réponse n’est pas simple et dépend du contexte. Si les communautés sont clairement identifiées et reconnues dans l’entreprise, le principal problème sera de développer un relais entre les communautés et la direction de l’innovation. La mise en visibilité des réussites communautaires peut aussi aider à surmonter ces obstacles. Le sponsor d’une communauté, si il est bien placé dans l’organisation, est aussi une aide précieuse pour trouver des moyens et diffuser les innovations.
L’importance de la communication et de la collaboration au sein de la communauté
Fondamentalement, une communauté qui fonctionne bien est une communauté dans laquelle il y a de la collaboration. Il ne peut y avoir un sentiment commun d’appartenance et émulation sans collaboration.
Les outils technologiques pour soutenir les communautés d’innovation
Comment un outil digital peut favoriser l’innovation collaborative ?
Même les communautés qui se rencontrent plutôt physiquement ont besoin d’une plateforme pour discuter. Aussi, elles souhaitent créer des événements, partager des documents qui vont être porteurs de la connaissance et d’idées.
Par exemple, Schneider Electric utilise des outils simples comme Yammer ou des outils plus lourds comme Teams. Le but est de stimuler leurs communautés de travail. Toutefois, ces outils ne sont pas ce qui pousse les communautés à innover. C’est plutôt une motivation orientée vers l’innovation pour résoudre des problèmes importants et des interactions récurrentes bien organisées.
Mesurer l’impact de la communauté sur l’innovation
Quels sont les principaux indicateurs clés de performance pour évaluer l’efficacité des communautés d’innovation ?
Dès qu’on pose des indicateurs dans une communauté, on risque de la tuer. Une communauté ne se gère pas avec des KPI. Toutefois, la performance d’une communauté s’évalue selon deux critères : l’atteinte des objectifs et la vitalité de la communauté (nombre d’événements, taux de participation aux événements par exemple).
Le blog de Guy Parmentier : Theinnovation.eu
Les activités de la chaire Communautés d’innovation de Grenoble IAE
Deux conseils de lectures 👍