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Développer le potentiel industriel de nos territoires grâce aux communautés par Olivier Lluansi

5 Mai, 23 | Interviews d'experts

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Développer le potentiel industriel de nos territoires grâce aux communautés professionnelles par Olivier Lluansi

Dans cet article, Olivier Lluansi nous a accordé une interview pour évoquer le potentiel industriel de nos territoires grâce aux communautés.

Mon expérience professionnelle n’est pas linéaire, j’ai trois vies professionnelles jusqu’à présent. J’ai travaillé pour Saint-Gobain où j’ai d’abord été directeur du développement durable. Par la suite, j’ai été envoyé en Roumanie pour créer une nouvelle activité de verre plat, accompagné et fait naître une usine à l’Est de Bucarest. Ensuite, j’ai été le responsable des activités du Groupe pour la zone Europe centrale et basé à Varsovie en Pologne. J’ai eu aussi une vie de “haut fonctionnaire” en France. J’ai travaillé pour pratiquement tous les étages de la fonction publique : Commission Européenne, Conseil Régional, État Central avec la caractéristique à chaque fois d’avoir fait un poste en cabinet auprès des décideurs politiques et puis un poste technique. Parmi les décideurs politiques je pourrais citer par exemple Édith Cresson, Michel Delebarre et François Hollande.

Ma troisième vie c’est donc celle que j’ai aujourd’hui. Je suis consultant en stratégie industrielle. Je travaille autour de thématiques variées comme la digitalisation de l’industrie, la souveraineté, la résilience des stratégies industrielles etc. Pour moi, l’industrie est un outil productif au service d’un projet de société. C’est important d’affirmer ce lien, cette subordination à un projet de société. L’industrie peut apporter à ce projet de société plusieurs éléments parmi lesquels la souveraineté ou la sécurité d’approvisionnement. À mon sens, le premier apport de l’’industrie à un projet de société c’est la cohésion territoriale et elle permet aux villes moyennes d’avoir accès à des métiers à haute valeur ajoutée. Cela concerne par exemple les métiers dont l’évolution technologique est liée au digital, mais aussi ceux qui sont en lien avec les défis environnementaux etc.

L’industrie est ainsi un outil clé de la cohésion d’un pays territorial et même social. Sans cohésion au sein d’un pays ou d’une communauté, nous ne pourrions pas faire face aux défis, notamment ceux de l’environnement ou de la souveraineté. Ils nous demandent tant d’efforts à répartir.

Dans quel contexte évoluent les professionnels de l’industrie actuellement ?

Pour moi, le contexte industriel en France est extrêmement complexe car nous vivons une période de transition dont on ne connaît pas l’issue. Comme toute période de transition, par définition elle est chaotique et il est rare de vivre une transition aussi profonde qu’actuellement.

Une évolution industrielle structurelle

D’abord, du point de vue structurel, il est clair que nous avons basculé d’une société marquée par la consommation de masse à une société où cela n’est plus possible. En effet, lorsqu’on réalise que 6 des 9 limites planétaires ont été dépassées, on se rend bien compte qu’il y a quelque chose qui ne va pas et qui ne va plus.

Aujourd’hui nous entrons donc dans un projet de société qui change de paradigme mais qui n’est pas encore totalement défini. Il se cherche autour des concepts de la sobriété, la décarbonation ou l’économie circulaire par exemple.

Dans tous les cas, ce projet de société est une recherche une symbiose avec l’environnement.

Auparavant, l’industrie était un outil de domination sur la nature tandis qu’aujourd’hui elle se doit de rentrer dans un cadre de symbiose avec l’environnement. Récemment on parle beaucoup de décarbonation, de l’industrie. Mais ce n’est pas le seul volet, on parle aussi d’une économie de fonctionnalité pour limiter l’empreinte environnementale, on s’attache aux sujets de la circularité ou à l’empreinte foncière des usines, à la biodiversité.

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Une révolution sociétale qui induit une renaissance industrielle

Particularité de cette transformation, le point d’horizon n’est pas défini. En 2019, Michel Serres, philosophe français, faisait l’aveu que sa profession avait “raté le coche” parce qu’elle n’avait pas cartographié la révolution que nous vivons. À l’inverse de Rousseau avec “Du contrat social” en amont de la Révolution française ou bien Marx qui a servi de “guide” à la révolution communiste.

Dans des périodes de transition, nous sommes collectivement plus sensibles aux chocs technologiques, sociaux, géopolitiques ou même sanitaires. Par exemple, la digitalisation amène des réflexions sur l’expérience client qui devient clé au sein des sociétés. D’autres chocs aussi : la crise énergétique, les tensions géopolitiques par exemple ou encore les subventions américaines sur des technologies environnementales qui font ralentir l’avancée européenne sur les sujets des innovations environnementales. 

Il y a donc une profusion de sujets environnementaux, divers et variés, qui touchent les chefs d’entreprises et qu’ils doivent traiter : décarbonation, circularité matière, disponibilité du foncier, sécurité d’approvisionnement, hybridation produits-services, etc.  On pourrait imaginer les traiter chacun à la suite des autres, de manière séquentielle avec des feuilles de route ou des plans d’action classiques. Mais ils sont si nombreux que cela deviendrait ingérable.

En fait, il y a un seul moment dans la vie industrielle où tous ces sujets-là sont réunis en même temps, c’est lors de la conception d’un produit. C’est le moment où on décide quels matériaux on va utiliser, quelle technologie, quelle partie on va sous-traiter, est-ce qu’on a des savoir-faire, des compétences où est-ce qu’on les a pas, sont-elles compétitives en France ou faudra-t-il importer ? Je crois que toutes ces feuilles de route qui, aujourd’hui deviennent trop nombreuses et ingérables par les entreprises, vont quelque part se condenser dans un exercice de conception des produits, totalement renouvelé. Cela va nécessiter de créer une pratique de conception comme un exercice collectif et coopératif.

 

En quoi les communautés pros pourraient accélérer le développement industriel de nos territoires et pourraient être une réponse collective à ces enjeux ?

À la suite de la réflexion précédente et pour reprendre l’idée de la conception d’un objet, il est important de souligner que cette conception ne serait plus un exercice solitaire mais naturellement une coopération entre différentes compétences, entre différentes expertises

Je prends cet exemple là, celui de la conception des produits de demain, parce qu’il est emblématique et qu’il illustre que les défis que nous vivons dans cette transition peuvent être déterminants pour le développement ou la survie d’une entreprise.

Certaines entreprises risquent de ne pas survivre à ces changements, à cause du prix de l’énergie par exemple. Certaines entreprises se trouveront en grande difficulté en cas de rupture d’approvisionnement d’un intrant critique. etc. Ce ne sont  donc pas simplement des petits obstacles. Or, aucune organisation et aucune personne n’a l’ensemble des réponses seule.

Les relations business antérieures fondaient leur efficacité principalement sur les gains d’échelle, une production de masse, et une contractualisation standardisée entre un donneur d’ordre et un ensemble de sous-traitants (notons la connotation des termes : donneur d’ordres, sous-traitants) dans une relation descendante. Ces relations risquent de ne plus être pleinement adaptées à notre nouvel univers.

Cela remet par exemple en cause la notion même de filière. Les chaînes de valeurs sont devenues extrêmement fragmentées, il y a aujourd’hui très peu d’articles produits entièrement en France. On dit souvent que pour les pièces automobiles, il y a des parties qui ont fait 4 fois le tour du monde avant d’arriver sous le capot (rire).

Finalement, cela amène à une réflexion sur l’organisation du tissu industriel complètement différente. La première mutation industrielle serait de mettre en avant des écosystèmes thématiques

Par exemple, dans le cas d’une filière automobile, on pourrait imaginer un écosystème sur les batteries ou un écosystème sur l’électronique de puissance ou encore sur le logiciel embarqué qui sont des éléments clés sur lesquels plusieurs acteurs pourraient collaborer afin de délivrer la solution la plus innovante et la plus efficace. On n’aurait plus une politique industrielle verticale censée couvrir toute la chaîne de valeur, ce qui est désormais illusoire car une grande partie se fait hors de France et même hors d’Europe, mais une politique sur trois ou quatre peut-être cinq écosystèmes capables de délivrer les meilleures solutions pour des maillons clés ou stratégiques.

Pour aller un cran plus loin et c’est ce qu’on a expérimenté à travers Territoire d’Industrie, la coopération sur des thématiques ou des technologies c’est bien mais ce n’est pas le seul facteur d’efficacité d’un tissu économique et industriel.

D’après une étude de la Fabrique de l’industrie de 2019, 38 % des facteurs liés à la dynamique de l’emploi en économétrie sont liés en réalité au territoire lui-même.

Là ce n’est donc pas la technologie, ni la filière, ni le secteur économique qui est un facteur d’efficacité, c’est le territoire ! Afin d’activer ce facteur de succès, la réponse reste la même : coopération, la constitution d’écosystèmes territoriaux. C’est cette collaboration entre les acteurs d’un territoire qui permet d’être efficace.

 

Avez-vous des exemples de communautés pros qui fonctionnent ?

Lorsqu’on a démarré Territoires d’Industrie en 2019, il y avait une demi-douzaine de territoires qui fonctionnaient vraiment en écosystème portant un projet industriel parmi Vire, la Vallée de la mécanique (Figeac), la Vallée de l’Arve etc.

Un an après, on avait une vingtaine de communautés qui fonctionnaient avec la même intensité coopérative autour d’un projet de réindustrialisation, par exemple  Mulhouse, Chalon sur Saône ou l’ensemble Lacq-Pau-Tarbes. Ce sont des territoires qui ont pris une dynamique territoriale particulièrement active.

D’un point de vue sectoriel, on a commencé à comprendre la nécessité de sortir de la filière pour raisonner en écosystème : l’écosystème batterie est en train de naître par exemple, l’écosystème production d’hydrogène. Il existe aussi un écosystème de la fabrication de vélo autour de trois écosystèmes territoriaux. La fabrication textile peut aussi être vue comme un ou plusieurs écosystèmes, par exemple l’écosystème des producteurs de “jeans” en France une façon de penser alternative à la filière classique, avec à sa tête un grand groupe, principal donneur d’ordre. Pensez à Airbus pour la filière aéronautique, Renault et Stellantis pour l’automobile, Naval Group et les Chantiers de l’Atlantique pour l’industrie navale.

En finalité, je dirai qu’il y a de très nombreux de défis auxquels fait face l’industrie aujourd’hui, parmi lesquels la formation, le recrutement, le digital, les innovations de rupture, la sécurisation des approvisionnements et de chaînes de valeur, les nombreux défis environnementaux : énergie, décarbonation, cycle matière, eux, biodiversité, etc. Pour y répondre, travailler en communauté est un moyen efficace et sans doute, le plus efficace et certainement plus efficace que de tenter d’y répondre seul. De plus, on a démontré avec Territoire d’Industrie qu’il n’y avait pas de fatalité, n’importe quel territoire peut faire écosystème. Le premier des critères déterminants est l’animation. Ce ne sont pas les institutions, ou les structures  mais les personnes qui l’anime qui sont absolument clés. Il est primordial qu’un projet de territoire ou écosystème soit incarné par un ou des porteur(s). Cela peut être vrai également pour les écosystèmes thématiques.

Ainsi, ce type de collaboration ne fonctionne pas s’il n’y a pas d’ingénierie (de territoire lorsque c’est un écosystème territorial), on l’appelle aussi animation technique. Cela veut dire qu’une personne est chargée d’envoyer les invitations, rédiger les ordres du jour ou les comptes-rendus, passer du temps au téléphone pour déminer les oppositions. Pour donner une illustration de l’efficacité, les territoires avec une ingénierie ont surperformé en termes de taux de réussite et de nombre de projets financés par France Relance depuis 2018.

 

Les communautés professionnelles peuvent-elles être un moyen de relancer l’industrie en France ?

C’est là où Wudo s’insère, ces communautés industrielles ont jusqu’à présent été pilotées sur un modèle classique  : une présidence, des animateurs et des moments de travail clé, hebdomadaires en petits groupes, mensuels en pilotage plus large etc. Avec Territoire d’industrie, j’ai constaté en participant à ses réunions que les idées avancent peu voire pas sans réunions de travail.

Mais lorsqu’on projette ce système dans le monde numérique, on remarque que les parties prenantes fonctionnent plus facilement et plus efficacement en asynchrone et n’ont pas besoin d’attendre les prochaines réunions pour avancer. 

Mon constat était donc le suivant : il est nécessaire d’outiller numériquement ces communautés pour  leur permettre de fonctionner plus facilement, plus rapidement en temps masqué. C’est donc là où Wudo prend tout son sens avec une culture de la collaboration digitale encore peu présente dans l’industrie. 

En conclusion, le tissu industriel a toujours servi un projet de société, et cela continuera. Lorsqu’on était sur un projet de société de consommation de masse, on a créé un outil productif de masse.

Olivier Lluansi photo de profil Wudo

On s’oriente vers une société sobre, circulaire, respectueuse des limites planétaires. Il sera donc nécessaire de réinventer un outil productif qui soit notamment circulaire et décarboné. La solution à l’amplitude et la variété de ces défis, qui sont majeurs, se trouvera plus dans la coopération que dans la seule compétition, ensemble qu’isolé.

Contrairement aux idées reçues, cette coopération est possible partout, dans tous les secteurs d’activité, et elle performe lorsqu’elle est outillée et bien incarnée.

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