Architecte de formation, j’ai participé durant mes études au concours “Sakan Innov » au Maroc, centré sur la création d’un habitat évolutif. Cette expérience, où nous avons décroché le deuxième prix, a été un tournant pour moi. Elle m’a aidé à réaliser l’importance de l’innovation ouverte dans l’aménagement urbain. J’ai compris la nécessité d’élargir mon savoir et de m’équiper d’outils appropriés. Cela m’a conduit vers le Master Innovation Urbaine pour des Villes et Territoires en Transformation à l’ENSGSI.
Par la suite, j’ai intégré la Communauté de Communes du Bassin de Pompey en tant que chef de projet tout en débutant une thèse CIFRE financée par la collectivité, à l’Université de Lorraine. Mon travail doctoral se penche sur le dialogue entre la démarche Urban Living Lab et les méthodologies conventionnelles de projet urbain, en utilisant le Campus d’Innovation comme prisme d’étude. Mon ambition est d’élaborer un modèle aidant les collectivités et les professionnels à naviguer à travers la complexité des projets urbains.
Le contexte de crise et la multiplication des enjeux requièrent une transformation des modalités de gestion de projets et d’aménagement du territoire
Le développement urbain est confronté à un ensemble inédit de défis en raison des crises en cours. Ces défis ont considérablement complexifié les projets urbains et de développement territorial. Par ailleurs, une multiplication des enjeux tels que la transition écologique, la cohésion sociale et la participation citoyenne, impose une révision des modalités de gestion des projets. Les porteurs de projet, qu’ils soient élus, concepteurs ou autres, doivent naviguer dans un contexte marqué par l’intersection de ces multiples défis.
Depuis les années 1970, l’ingénierie des projets urbains a évolué. Elle a initié le passage de la vision purement centralisée, qui avait permis un développement rapide après la Seconde Guerre mondiale, à une approche plus partagée de la fabrication de l’action urbaine. Ce tournant vers la co-construction de la ville a pris un nouvel élan dans les années 2000.
Cependant, cette ingénierie a eu du mal à suivre la multiplication et la complexification des enjeux urbains. Cela a créé un décalage entre les besoins et les solutions proposées.
Vers une vision écosystémique : surmonter la complexité urbaine à l’ère de l’incertitude
L’incertitude et la marge d’erreur de plus en plus étroite dans l’action urbaine s’ajoutent aux nombreuses contraintes, notamment la complexité croissante des écosystèmes de parties prenantes et les limites des outils disponibles. Le défi actuel réside donc dans le passage d’une logique de projets séquentiels à une vision plus “écosystémique” des enjeux urbains.
Trop souvent, nous cherchons à maîtriser cette complexité à travers une logique de séquencement, une approche qui peut fausser nos interprétations et nos interventions. Ce besoin de séquencement découle d’une confusion entre « complexité » et « complication », et limite notre capacité à voir le système dans son intégralité.
La complexité des enjeux et des problèmes dépasse parfois la cadence de l’évolution des logiques linéaires de conception, d’ingénierie de projet et de production de politiques publiques. En conséquence, la maîtrise d’ouvrage est confrontée au défi de mobiliser divers acteurs, chacun avec différentes activités, intérêts et défis, autour d’un projet commun. Réduire ce changement à de simples pratiques, telles que l’organisation d’ateliers collaboratifs, s’avère problématique.
Dans ce contexte, la multiplication des contraintes et des méthodes plaide en faveur du développement d’une nouvelle ingénierie de projet, capable de répondre à cette complexité croissante. Ce passage à un nouveau paradigme nécessite une remise en question profonde de nos méthodes traditionnelles, ouvrant ainsi la voie à des initiatives innovantes en matière de développement urbain.
Plus qu’une nouvelle étape, une nouvelle posture
Bien que les démarches collaboratives soient devenues incontournables dans l’ingénierie de projet. Cette évolution, aussi prometteuse qu’elle puisse paraître, n’arrive pas à suivre la cadence de la complexification des enjeux urbains. Souvent, on réduit la co-construction à une approche par étapes ou à des outils telles que les ateliers, qui bien qu’utiles, ne suffisent pas à instaurer un environnement pleinement collaboratif et adaptatif.
Cette approche est contre-productive, notamment en l’absence d’une vision globale et systémique qui s’intègre au cadre réglementaire des projets urbains. Cette lacune empêche de mobiliser l’intelligence collective et de valoriser l’ensemble des contributions au sein de l’écosystème.
La mobilisation des parties prenantes ne peut se limiter à l’intégration des besoins des utilisateurs. De trop nombreuses démarches de concertation sont critiquées, car elles semblent solliciter les participants uniquement pour valider une décision préétablie ou pour influencer légèrement une solution déjà choisie. La concertation ne doit pas être réduite à une simple phase d’écoute ou d’idéation, mais nécessite une approche holistique. Cette vision globale doit favoriser une réelle participation des parties prenantes en intégrant le projet dans son écosystème complet, avec toutes ses dynamiques, ses défis et ses ambitions.
L’acteur ensemblier est essentiel dans cette dynamique, orchestrant l’ensemble des contributions et assurant une réflexion systémique face à cette complexité. Il est temps de remettre en question l’association systématique entre “atelier collaboratif” et co-création.
L’ingénierie de projet écosystémique requiert une nouvelle posture, intégrant l’expérimentation, l’acceptation du risque d’échec et l’approche par itérations. Cette approche doit être adaptative, fonctionnant à divers niveaux et échelles. Elle implique une mobilisation adaptée selon le contexte, tout en cherchant à développer une communauté de pratique et d’intérêt, en mettant l’humain au centre. Après tout, les communautés émergent naturellement et ne doivent pas être imposées.
Les collectivités territoriales face à ces enjeux : Vers une changement de paradigme de la gouvernance
Face à l’augmentation de la complexité et de l’intersectionnalité des enjeux, les collectivités territoriales sont parmi les premières à être impactées. L’affaiblissement de leurs capacité financières s’ajoutent aux défis partagés pour imposer un changement dans les modes de portage et de gouvernance, plaident pour une plus grande efficience et une mutualisation des ressources. Les partenariats public-privé par exemple, émergent comme une nécessité dans la fabrication des villes, permettant à la fois de servir l’intérêt général et de créer une valeur ajoutée assurant la pérennité économique pour l’acteur privé.
Les collectivités territoriales, souvent enthousiastes à l’idée d’adopter ces nouveaux modèles, manquent pourtant d’ingénierie et de mécanismes de soutien adéquats. Les élus locaux adhèrent souvent à ces changements mais restent confrontés à des défis opérationnels et conceptuels. Les démarches de co-création ne peuvent plus être envisagées comme des « étapes » ponctuelles destinées à valider des concepts déjà formés par des experts. Il ne s’agit pas de marginaliser ces experts, mais plutôt de les intégrer dans une ingénierie partagée qui favorise une participation holistique des parties prenantes dans la conception et l’innovation du projet.
L’objectif de ces démarches collectives
Dans ce contexte, l’objectif n’est pas de vouloir à tout prix aboutir à des solutions toutes faites. Appliquer de nouveaux outils avec la même posture que par le passé ne donnera pas des résultats différents. Il ne s’agit pas non plus simplement de légitimer des solutions existantes ou de les influencer marginalement. La véritable posture à adopter est de construire tout le processus de gouvernance avec les parties prenantes, en tenant compte de leur perception du territoire, de ses enjeux, de ses défis et de ses tendances. L’ambition est de créer collectivement une vision qui se décline ensuite en stratégies opérationnelles.
Cette approche implique de construire non seulement des solutions mais aussi des cadres de gouvernance collaboratifs et adaptatifs, qui valorisent et intègrent les multiples perspectives et compétences des différents acteurs. Il s’agit de repenser fondamentalement comment nous concevons et gérons les projets urbains dans une dynamique en constante évolution.
Cette réflexion élargie peut apporter des nuances et des angles d’approche supplémentaires dans le cadre de votre stratégie, surtout en ce qui concerne la gouvernance et la dynamique entre les parties prenantes publiques et privées.
Le Urban Living Lab, au-delà des boîtes à outils, une ingénierie de projet augmentée
Les « Living Labs », tels que définis par ENoLL, incarnent des écosystèmes d’innovation ouverts évoluant dans des environnements réels. Ils mettent en avant une co-création axée sur l’utilisateur, fusionnant recherche et innovation au cœur des communautés avec les citoyens comme pivot central du processus d’innovation. Le Urban Living Lab (ULL), dans ce contexte, transcende la simple boîte à outils traditionnelle destinée à gérer les complexités urbaines. Il symbolise une avancée significative dans la gestion de projet, adoptant une approche plus holistique. Cette perspective englobe une participation active des parties prenantes à chaque étape, de la définition des enjeux jusqu’à la mise en œuvre des solutions. Bien que sa mise en pratique dans le contexte urbain en soit encore naissante, l’ULL présente un cadre conceptuel robuste et les outils nécessaires pour se synchroniser avec les directives réglementaires.
Les phases de l’ULL, bien que complexes, peuvent être simplifiées en trois étapes itératives et non linéaires :
1# Problématisation
Cette phase fondamentale incarne le changement de paradigme, privilégiant une solide définition des problèmes avec toutes les parties prenantes.
2# Espace de solutions
Elle couvre l’idéation, la scénarisation et la prise de décision collective.
3# Espace de déploiement
Elle se focalise sur l’implémentation et l’amélioration continue des solutions.
L’originalité de l’ULL est mise en avant par sa capacité à aligner sa méthodologie avec les processus de projet urbain. Cette harmonisation est soutenue par six principes distinctifs :
- Participation Active : Une implication continue des parties prenantes garantissant l’adéquation des solutions.
- Participation multi-acteurs : L’incorporation des secteurs via l’approche Quadruple, voire Quantuple Helix.
- Orchestration : Une mise en réseau et une synergie entre les acteurs, assurée par l’ULL.
- Co-création : Une intégration à chaque étape, renforçant la pertinence des solutions.
- Contexte réel : Une mise en pratique sur le terrain avec les utilisateurs finaux.
- Approche multi-méthodes : Une adaptabilité selon les spécificités du projet.
Dans cette perspective, l’ULL marque une transition majeure en gestion de projet, proposant une démarche alignée sur la pratique conventionnelle tout en répondant de manière pertinente aux enjeux urbains. L’objectif n’est pas de « révolutionner » la pratique mais de l’enrichir
L’intégration de ces enjeux peut impliquer certaines limites
L’adoption des Urban Living Labs (ULL) est marquée par l’aspiration « d’augmenter » les processus traditionnels de développement urbain en se dotant des outils permettant de naviguer leur complexité et intégrant les projets dans leux écosystème à travers la participation des parties prenantes dans tout le processus (Open Innovation). Toutefois, cette approche collaborative, centrée sur l’humain, porte en elle des défis inhérents, surtout dans le contexte d’application des collectivités en France.
Mettre en avant des principes tels que la co-création et la co-conception génère naturellement des attentes élevées. Si mal gérées, ces attentes peuvent conduire à des déceptions, soulignant l’importance d’une application réfléchie et adaptée. Le vrai défi ne se limite pas à la solution proposée, mais réside dans l’optimisation de la contribution de chaque acteur au processus. Avant de penser solution, il est fondamental de se concentrer sur une compréhension nuancée du problème.
L’ULL ne vise pas simplement à la réalisation matérielle d’un projet, mais aspire à tisser des liens durables entre les parties prenantes. Il s’agit d’initier une appropriation du projet avant sa concrétisation, créant une communauté d’usage qui s’adapte et évolue avec le projet. Cela nécessite de reconnaître les parties prenantes non pas comme de simples contributeurs, mais comme des acteurs essentiels, impliqués dès la phase pré-opérationnelle et tout au long du processus.
Le véritable co-portage, vu comme l’apogée de la co-création, ne se décrète pas. Il émerge d’un travail assidu et de conditions méticuleusement mises en place. La route de l’ULL est pavée d’incertitudes et d’éventuels échecs, exigeant une navigation ouverte et inspirée à travers la complexité, toujours en quête d’une harmonie partagée.