Après un premier article intitulé « L’innovation collaborative repose d’abord sur la confiance collective » de Cécile Michaux, on a le plaisir d’accueillir dans ce nouvel article Pascale Mompoint Gaillard qui va nous transmettre son point de vue sur le rôle de la confiance dans les communautés apprenantes en ligne.*
Pascale Mompoint Gaillard : docteur en sciences de l’éducation, spécialiste des communautés apprenantes en ligne
Je suis docteur en sciences de l’éducation et mon travail de recherche concerne les conditions de réussite des communautés apprenantes en ligne. Je suis également formatrice dans le domaine de la formation professionnelle (Union Européenne, Institut Européen d’Administration Publique, Conseil de l’Europe, …) et facilitatrice dans divers environnement tournés vers la transition écologique et climatique (Tiers lieux). Je m’intéresse en ce moment particulièrement aux « Transformative Social Systems » comme « maillage de pratiques d’intelligence collective ». En ce qui concerne les communautés en ligne, je lie la théorie et la pratique dans une démarche empirique : j’ai pu étudier en détail les conditions de leur réussite (affordances) du pourquoi faire communauté, au ton de voix en passant par l’ethos, jusqu’au process et outils à mettre en place dès leur lancement.
Mon étude a souligné comment les communautés apprenantes en ligne sont efficaces pour le développement professionnel continu, mais aussi qu’elles nécessitent certaines circonstances pour atteindre leur potentiel. Il existe des moyens et des méthodes concrets par lesquels les technologies – comme les plateformes communautaires – peuvent être exploitées pour aider les collaborateurs à développer, planifier, suivre et adapter efficacement leur propre engagement pour apprendre ce dont ils ont besoin ‘juste en temps voulu’.
C’est donc un dispositif très différent de la formation professionnelle classique car le contenu de ce qui est à apprendre est co-créé par les participants de la communauté. Cela permet de coller à leurs besoins réels et non théoriques.
Comment les membres d’une communauté apprenante en ligne (CAL) s’engagent dans la vie de la communauté ?
Et dans quelle mesure ils maintiennent leur investissement, et ceci sous certaines conditions ? Les informations que je partage ici ont exigé la mise en lumière de certains des mécanismes de base qui affectent l’apprentissage dans les communautés professionnelles en ligne, à savoir le fonctionnement d’une telle configuration, ce qui l’affecte, les nombreuses variables importantes, les complications qui surviennent, les différences de situation.
J’ai identifié huit facteurs (en italique dans la liste) qui semblent importants pour soutenir l’engagement des participants dans une CAL comme une activité ‘auto-motivée’. La capacité à répondre aux besoins des participants, avec le soutien de stratégies d’animation communautaire et de modération efficaces, détermine la mesure dans laquelle les participants restent actifs et atteignent leurs objectifs d’apprentissage. Tels sont les facteurs qui contribuent à la motivation des participants à s’engager dans une conversation digitale au sein de la communauté apprenante en ligne étudiée :
- les membres sont engagés à travers un appel à leur curiosité et à leur créativité (esprit ouvert),
- leur besoin d’appartenance et d’inclusion (cœur ouvert),
- leur volonté de démontrer la confiance et la persévérance
- la possibilité pour eux d’exercer leur autonomie
- un sentiment de contrôle sur la réalisation de leurs objectifs personnels et communs (volonté ouverte).
Le rôle de la confiance dans les communautés (confiance en soi et en les autres) est apparu comme un élément prépondérant dans l’établissement des ces conditions qui favorisent la création d’un espace de développement professionnel en ligne, et je me concentre sur cet aspect ici. Les compétences en communication, en animation, la charte de conduite, sont primordiales pour créer des environnements de confiance et paisibles les plus propices à l’apprentissage.
L’éthos, les valeurs et la création de normes dans les communautés en ligne soutiennent le développement du capital social, cognitif et relationnel de ses membres. Établir une charte, non pas seulement de communication mais de “conduite vers l’apprentissage”, attire l’attention sur le sens des responsabilités des membres, et nourrit leur motivation à s’engager dans le soin de la communauté. C’est comme si l’on créait intentionnellement une microculture d’inclusion qui nourrira une disposition des participants à s’engager à travers une série d’actions concrètes telles que : accueillir les pairs, s’assurer que personne n’est ignoré, entretenir un environnement d’apprentissage sûr, une atmosphère bienveillante, et un sentiment d’appartenance, l’instauration de la confiance et de la camaraderie, une démonstration d’empathie.
De telles normes guident l’action collective et semblent avoir facilité l’activité collaborative au sein de la communauté que j’ai étudiée. Les participants qui voyaient les autres réagir et soutenir leurs pairs étaient motivés à le faire eux-mêmes. La réciprocité et la fiabilité dans les relations sociales définissent les comportements et les attitudes et découragent les comportements égoïstes. Ainsi, le manque de réciprocité dans une communauté empêche les participants de contribuer. Même des faveurs petites et insignifiantes peuvent déclencher une réaction de réciprocité de la part de son destinataire. Dans les CAL, la réciprocité est l’aide que la communauté peut apporter aux utilisateurs lorsqu’ils ont besoin de réponses à leurs publications. Elle est l’incarnation (rien n’est virtuel en ligne !) de leur sentiment de responsabilité à l’égard des « biens communs de connaissances » (Hess et Ostrom, 2011) et exerce un contrôle sur – et donc une régulation – du contenu et de l’orientation des travaux de la communauté apprenante en ligne.
L’accueil des pairs est une activité importante pour la motivation à s’engager, réalisée aussi bien par les personnes modératrices que par les membres. Les modérateurs, agissant en tant qu’« hôtes », veillent à ce que les nouveaux arrivants soient les bienvenus dans un fil de discussion. Les signaux physiologiques sont des déclencheurs cognitifs fondamentaux, qui en présentiel, peuvent être utilisés pour informer la personne sur la façon dont elle peut déduire l’émotion d’autrui et agir sur son propre comportement social. De plus, les subtilités des expressions et du style de communication exclusivement à l’écrit peuvent amener les participants à interpréter, mésinterpréter, consciemment ou non, et réagir en fonction de sentiments perçus de l’autre.
En l’absence de possibilité de langage corporel dans les communautés apprenantes en ligne, l’importance de l’empathie pour établir la confiance et renforcer les relations de collaboration est donc vitale. L’expression de l’enthousiasme, gratitude, compliments, humour et réponses joyeuses, expression d’affinité, connexion, atmosphère bienveillante, sont le socle de l’établissement de la confiance et d’une atmosphère sûre et chaleureuse.
Etablir et soutenir la confiance dans les communautés apprenantes en ligne
La modération facilite le maintien d’un espace d’apprentissage sûr qui défend une culture démocratique, la confiance et se fonde sur les principes coopératifs/collaboratifs énoncés dès le départ par l’organisme qui sponsorise la communauté.
Il faut apprendre à repérer les subtilités des interactions en ligne, à l’écrit ! Cela inclue de repérer tôt les conflits et comportements qui les préfigurent. Par exemple :
- le fait de ne pas répondre brusquement alors qu’on était déjà impliqué dans une discussion,
- de donner des signes indirects de négativité en fournissant, ce qui ressemble à un feedback positif mais qui est en réalité une critique, un questionnement inductif ;
- ignorer les participants avec lesquels nous ne sommes pas d’accord ;
- faire preuve d’entêtement en accumulant les preuves du fait que vous avez raison et que les autres ont tort, etc. I
ll y a des énoncés qui ne critiquent pas ouvertement mais mettent subtilement l’accent sur la relation et l’interaction de manière implicite.
Pour jouer ce rôle, le facilitateur doit pouvoir « se projeter socialement » (Haythornthwaite, De Laat, et al., 2016) en tant que personne réelle entrant en relation avec les participants sans présenter de façade. Lorsqu’ils ont trouvé des moyens d’écrire des messages qui mettent en valeur leur personnalité, les personnes modératrices sont beaucoup plus susceptibles d’être efficaces pour s’engager avec les autres. L’une des attitudes essentielles et les plus fondamentales est la « présence sociale », c’est à dire l’authenticité, le fait d’arriver aimable et à l’écoute de la conversation en ligne. Cette « présence sociale s’est révélée être un facteur important de motivation des participants à s’engager grâce à une atmosphère de confiance améliorée.
Ces compétences sont des ‘soft compétences’ qui appellent à planifier une formation de l’équipe de modération (il vaut mieux éviter de modérer seul une communauté apprenante en ligne !) ainsi qu’une période de mentorat.
Conclusion : apprendre en public nécessite suffisamment de confiance dans la communauté
Apprendre en public nécessite suffisamment de confiance dans la communauté et en sa propre confiance en soi pour pouvoir risquer de se mettre sous le contrôle de ses pairs. Il est plus difficile de donner des commentaires critiques dans une communication en ligne asynchrone lorsque les réunions en face-à-face sont peu fréquentes. Cela implique de montrer sa vulnérabilité en public, ce qui nécessite suffisamment de confiance dans la communauté et en sa propre confiance en soi pour pouvoir se soumettre au contrôle de ses pairs et prendre des risques.
L’’environnement doit être propice à une confiance suffisante pour que les participants et les modérateurs puissent exprimer leurs lacunes. Il s’agit d’un facteur essentiel de l’apprentissage, car il nécessite une préparation et une capacité à subir d’éventuelles atteintes à l’estime de soi.
Lorsque les commentaires et les ‘échafaudages’ cognitifs et émotionnels sont fluides et pertinents, ils soutiennent la construction d’objectifs collectifs et individuels dans la communauté. Ils permettent également l’autorégulation et l’engagement des ses membres. Lorsque le développement communautaire aboutit à un tel espace social, la collaboration et l’apprentissage sont soutenus par la confiance, le sentiment d’appartenance et les relations interpersonnelles solides (liens) qui se créent au fil du temps. Des liens solides entre les acteurs sont importants pour un engagement durable car ils facilitent la possibilité d’apprendre ensemble. Les participants développent des relations interconnectées qui offrent du soutien, des risques partagés, de la confiance et un accès à l’information et aux connaissances.
Ces relations – si elles sont soutenues par une modération éclairée qui donne les affordances que nous avons citées plus haut – aboutissent à :
- un réseau social ouvert et engageant qui facilite l’apprentissage,
- le développement d’un capital professionnel
- et a le potentiel de changer la manière dont les choses se font.
Retrouvez ci-après l’intervention (en anglais) de Pasacale Mompoint-Gaillard « Building Trust and Collaboration through an Ecology of Learning
Pour en savoir plus sur Pascale Mompoint-Gaillard : https://pascalemompoint.com/ et sur Linkedin
* les liens vers Wudo sont des notes de l’éditeur